Monsieur Gilles Turcotte, un collaborateur du Centre de spiritualité Manrèse de Québec, a eu l’occasion de préparer un travail universitaire dans le cadre de ses études à la Faculté de foresterie et de géomatique de l’Université Laval. Avec trois confrères, messieurs Julien Brière, François-Xavier Drapeau et François-Michel Hardy, il a tracé un tableau de l’évolution de la présence des jésuites à Québec et dans la région de Québec au cours des ans. Nos remerciements pour la permission d’utiliser leur travail. Cet article est paru dans LE BRIGAND, revue missionnaire des jésuites, en 2008.

La présence des jésuites à Québec du 17e siècle à nos jours

Près de quatre cents ans après l’arrivée des Jésuites sur le sol de Québec, l’empreinte de leurs oeuvres demeure toujours perceptible dans le paysage urbain de la ville de Québec. En fait, l’histoire des Jésuites est intimement associée à celle de notre pays. Ils ont joué un rôle important sur les plans social, culturel et économique. En 1625, deux frères jésuites ainsi que les pères Ennemond Massé, Jean de Brébeuf et Charles Lalemant arrivent à Québec. Leurs premières missions consistent à l’accompagnement spirituel des premiers colons et à évangéliser les Amérindiens. En 1626, Champlain leur concède la seigneurie Notre-Dame-des-Anges qui, de nos jours, correspond au quartier Limoilou, à Charlesbourg et à Giffard. La première résidence des Jésuites est érigée à l’endroit actuel du parc Cartier-Brébeuf.

À l’arrivée de Kirke en 1629, les Jésuites retournent en France. À leur retour, seulement trois ans plus tard en 1632, ils s’installent à proximité de l’église Notre-Dame-de-Recouvrance (site de la basilique actuelle, dans le Vieux Québec) et ils remplissent les fonctions curiales à Québec. En 1635, avec un don reçu de France, ils fondent un collège pour éduquer les jeunes Amérindiens. Devant le manque d’intérêt manifesté par les jeunes autochtones pour le type d’éducation classique proposée, les jésuites accueillent graduellement des Blancs à leur collège.

Un terrain est concédé aux Jésuites en 1637 (site de l’Hôtel-de-ville actuel). Ils y construisent la première aile du collège en 1647-1648, appelée la Maison des Offices avec des classes et des bureaux. En 1650, une deuxième aile, appelée la Grande Maison, est bâtie face à la rue Ste-Anne. Celle-ci servira de résidence à de nombreux jésuites jusqu’en 1759. Dans la colonie, seul le collège des Jésuites offre un cours complet d’études secondaires. Une église est érigée en 1666 sur la rue des Jardins et l’on raconte que les Jésuites la voulurent plus belle que l’église paroissiale de Mgr de Laval qui, en 1659, avait nommé un prêtre séculier comme curé à l’église-basilique et qui a donc retiré aux jésuites leur cure. Ainsi le collège et la résidence des jésuites, avec son église attenante, dont la tour possède la seule « horloge à aiguilles » de la Haute Ville, ont été érigés entre 1648 et 1666.

D’autre part, dès 1637 les jésuites établissent une mission à Sillery dans le but d’aider à la sédentarisation des Amérindiens de la région et pour mieux assurer leur travail d’évangélisation. Ils se feront d’ailleurs concéder la seigneurie de Sillery en 1699. Un édit de Louis XIV demande, en 1663, de créer des bourgs pour favoriser le peuplement. Deux ans plus tard, les jésuites ouvrent le Trait Carré de Charlesbourg à l’intérieur de leur seigneurie Notre-Dame-des-Anges. Ils y installent un peuplement central avec des terres se déployant en étoile. Le père Pujard construit une petite église au milieu du Trait Carré et une paroisse y est créée en 1693. Un moulin y est aussi construit pour moudre le blé des censitaires. Les habitants de Charlesbourg font vivre les jésuites par leurs cens annuels. On peut repérer là la mise en ouvre de certaines intuitions que des confrères jésuites avaient mises en pratique en Amérique du Sud, dans ce qu’on a souvent appelé les « Réductions du Paraguay ».

En 1699, le gouverneur Hector de Callières concède donc aux jésuites la seigneurie de Sillery, constatant que les Indiens ne l’ont pas développée depuis qu’ils l’ont obtenue en 1651. Ces terres ajoutées à celles de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges dotent les jésuites de biens considérables. Les revenus générés auprès des censitaires rapportaient en 1726, près de 40,000 livres. De plus, pour le soutien de leurs missions et pour leur chaire d’hydrographie, ils recevaient du roi quelque 13,300 livres par année. Au cours des années 1720, les jésuites ont donc construit une maison à Sillery (aujourd’hui monument historique) et on y faisait tout aussi bien de l’agriculture que de l’évangélisation.

Au Collège des jésuites, à partir de 1708, le cours d’hydrographie et la tâche de formation des pilotes et des arpenteurs sont également confiés aux jésuites. Des travaux de rénovation et d’agrandissement sont effectués au collège entre 1725 et 1731. L’ajout de la maison Saint-Stanislas fait apparaître une cour carrée. Une bibliothèque avec plus de 10,000 livres y est installée ainsi qu’une infirmerie avec un laboratoire médical. Le collège devient l’édifice le plus imposant de la ville, un vaste bâtiment de pierre à trois étages formant un carré autour d’une cour intérieure. Les trois pierres du portail portent les lettres IHS, une contraction du nom de Jésus en grec, qui a continué d’identifier les jésuites au cours des âges jusqu’à aujourd’hui. Ces pierres du fronton de l’ancien collège ont été conservées et elles se retrouvent aujourd’hui intégrées à un monument devant l’Hôtel-de-ville de Québec.

Malgré son importante présence et son influence considérable à l’intérieur de la société canadienne, l’Ordre des jésuites recrute très peu de Canadiens. Seulement trois Canadiens sont entrés au noviciat de la communauté religieuse, ce qui fait que le recrutement d’effectifs est essentiellement dû à l’immigration. Comme il y a également une émigration vers l’Europe, les effectifs des jésuites en Nouvelle-France n’atteindront qu’un maximum de 42 pères et frères entre 1625 et 1760. Sur 320 jésuites venus au Canada, de 1625 à 1759, 168 y sont morts, dont 82 furent inhumés à Québec.

La Conquête porte un dur coup aux jésuites, alors qu’en Europe, la Compagnie de Jésus, devenue trop puissante ou trop influente aux yeux de certains monarques, est dissoute par le pape en 1774. Avant cet événement majeur, en 1760, le gouverneur Murray ferme le Collège des jésuites de Québec et les Anglais s’en servent comme caserne pour leur garnison. Les jésuites sont alors déportés en France à l’exception des vieillards. Le père Jean-Joseph Casot, dernier jésuite en Nouvelle-France, meurt en 1800 après avoir distribué les biens de l’église des jésuites aux Augustines, aux Ursulines ainsi qu’à plusieurs paroisses. Après la mort du père Casot, les biens et les propriétés des jésuites sont confisqués par les autorités impériales sous le règne du roi George III. Ces biens seront plus tard remis aux autorités de l’ancienne Province du Canada. À l’époque de la Confédération, une partie considérable de ces biens a été cédée au gouvernement de la province de Québec.

De 1877 à 1879, le vieux collège est démoli pour y construire le futur Parlement. Une fois la démolition terminée, le terrain est cependant jugé trop petit pour les besoins du gouvernement. Celui-ci le vendra plus tard à la ville de Québec qui y érigera son Hôtel-de-ville en 1896. L’Ordre des jésuites est rétabli en 1814 par le pape Pie VII et, en 1842, les jésuites reviennent au Canada à la demande de Mgr Bourget, évêque de Montréal. À la demande de Mgr Signay, évêque de Québec, les jésuites sont de retour à Québec en 1849. Ils s’installent sur la rue Dauphine où ils se voient céder une maison près de la Chapelle de la Congrégation des hommes. Celle-ci avait construit la chapelle Dauphine en 1817 selon des plans de François Baillargé. La Congrégation se donne comme mission la promotion de la dévotion mariale, de l’accompagnement spirituel et du sacerdoce. Enfin, les jésuites sont très actifs auprès de la jeunesse.

Dans leurs locaux de la rue Dauphine, les jésuites organisent des retraites fermées sous le nom de «Ouvre de Manrèse». Ces activités prenant de l’expansion, ils se mettent à la recherche d’un nouveau site pour leurs retraites, lequel pourrait aussi permettre la construction d’une église. En 1891, le père Joseph Édouard Désy fait l’achat de la villa Teviot sur le chemin Sainte Foy (site actuel du CLSC Haute Ville, au 363) et la renomme Villa Manrèse, en lien avec la tradition jésuite des retraites qui vont se vivre à cet endroit. Dès 1893, les jésuites débutent la construction d’une chapelle sur le site. En 1895, la chapelle est baptisée Notre-Dame-du-Chemin, alors que les jésuites parviennent à obtenir l’érection d’une nouvelle paroisse sous le même vocable.

Au début du 20e siècle, des retraites de groupe s’ajoutent aux retraites individuelles et les jésuites agrandissent leur maison de retraite en 1912. Cet agrandissement est rapidement insuffisant et ils doivent alors chercher un autre lieu. C’est donc en 1921, soit 30 ans après l’ouverture de la première Villa Manrèse, que la Compagnie de Jésus achète le domaine Hamwood, situé au nord du chemin Sainte-Foy et comprenant également une villa. Cette Villa Manrèse II, située au 630 chemin Sainte Foy, sera agrandie à cinq reprises entre 1921 et 1976. Cependant, à partir des années 1960, les retraites perdent de leur popularité. En 1976, la villa Manrèse est vendue et les jésuites construisent une Villa Manrèse III plus modeste à Sainte-Foy, laquelle prendra le nom de Centre de spiritualité Manrèse en 1995. À cet endroit, l’accent sera mis sur la formation de guides spirituels et sur la diffusion, autant auprès des personnes consacrées qu’auprès des laïques, des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola dans la vie courante.

Dans le domaine de l’éducation, les Jésuites ouvrent un nouveau collège en 1935, trois cents ans après l’ouverture du premier collège de la Nouvelle-France. Ils y reprennent l’enseignement classique pour les garçons. Le nombre d’élèves augmente graduellement pour atteindre le nombre de 1000 en 1968. L’ouverture des C.E.G.E.P entraîne une réduction de moitié. Le nombre d’élèves reviendra ensuite à une moyenne de 800. En 1982, ce deuxième Collège des jésuites est cédé à une corporation laïque, laquelle le renomme Saint-Charles Garnier. Jusqu’en 2006, plusieurs jésuites âgés demeureront dans la Résidence Garnier, une résidence construite en 1940 et attachée à l’aile ouest du collège. À l’une ou l’autre exception près, ces jésuites n’auront habituellement que peu d’implication dans les activités du collège.

En 1992, le père Michel Boisvert lance une nouvelle œuvre des jésuites à Québec : la Maison Dauphine pour les jeunes. Cette activité apostolique, localisée dans le Vieux Québec, est d’abord logée à la Maison Dauphine et elle accueille inconditionnellement les jeunes de la rue de 12 à 22 ans. Des professionnels de plusieurs domaines assistent ces jeunes pour un retour aux études ou pour une réhabilitation à l’emploi. Ils ont aussi pour objectif d’éviter que ces jeunes deviennent des itinérants dans le futur. L’œuvre a emménagée dans de nouveaux locaux, rue D’Auteuil, juste à côté de la chapelle, en 2012. En ce 21e siècle, même si les jésuites sont peu nombreux à Québec, leurs œuvres continuent d’avoir une influence dans la région de Québec grâce à l’implication de laïques dans chacune d’entre elles, des gens qui sont marqués par les idéaux spirituels, éducatifs et sociaux de la Compagnie de Jésus.